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Peintre et photographe : dans l'intimité des frères Caillebotte
Visions de peintres , regards de photographes, suite
La Bibliothèque Nationale présente, en 1955, « Un siècle de vision nouvelle » : une exposition qui souhaite montrer les relations qui se sont tissées entre peintres et photographes, de 1839 à 1939. L’exposition veut montrer comment les premiers ont recouru aux images des seconds et met en évidence le regard original des photographes. L’exercice ne va pas de soi, tant la photographie est perçue le plus souvent non comme une représentation de la réalité, mais comme un entre-deux entre la nature et l'art, une machine qui semble se gouverner toute seule. Quand Champfleury écrit avec discernement : « La reproduction de la nature par l'homme ne sera jamais une reproduction, ce sera toujours une interprétation », il veut surtout défendre le réalisme pictural. Pour appuyer sa démonstration, il cantonne la photographie à un rôle purement mécanique. L'écrivain imagine réunir dix peintres et dix photographes pour représenter le même site. Le résultat est pour lui évident ; les peintures seront toutes différentes et les photographies toutes identiques : « Dix daguerréotypes étant braqués sur le même objet, les dix yeux de verre de la machine rendront dix fois le même objet sans la moindre variation de forme et de coloration› ». Comment imaginer pourtant dix photographes réalisant le même cadrage, dans le même format avec la même lumière ? Dans l’exposition de la Bibliothèque nationale, l'intention des commissaires est intéressante mais ces derniers ne vont pas au bout de la confrontation. 
Contrairement aux peintres, les photographes exposés sont pour beaucoup anonymes et leurs épreuves ne figurent pas dans leur technique et leur format d'origine. Presque toutes ont été reproduites dans un même format. 
p 31 
Pour ce qui concerne Caillebotte, la découverte des photographies de Martial ne nous autorise pas nous livrer cet exercice, puisque, ici, c'est le peintre qui précède le photographe. Martial commence à photographier en 1891, quelques années avant le décès de son frère, en 1894. Les relations entre les deux frères sont alors moins proches. La belle-famille de Martial n’encourage pas les rencontres avec Gustave. Nous sommes tentés d’écrire que c’est plutôt Martial qui imite dans ses images les toiles de son frère : les sujets mentionnés plus haut mais aussi cette série de saynètes de vie quotidienne plus ou moins posées dans l'appartement (la lecture, la partie de cartes, la conversation téléphonique, le bain, le rasage, le coucher des enfants, etc.). C'est oublier que les sujets de Martial sont aussi ceux d'autres amateurs de cette période. Les scènes d'intimité familiale (les Jeux. la leçon, le coiffage) existent dans les photographies de Gabriel Loppé (I825-1913), comme les portraits au balcon existent chez Henri Rivière (1864-1951). Dans la ville redessinée par le baron Haussmann, le balcon est un élément contemporain du décor urbain. {Aux étages fortunés !)